lundi 10 décembre 2007

Message de Bernard Maitte du 10/12

LRU – Thème 1

Contribution de Bernard Maitte

Dans l’enseignement supérieur français coexistent des filières courtes sélectives (Grandes Ecoles, Ecoles d’Ingénieurs, IUT) professionnalisées, des filières longues sélectives professionnalisées (Universités de Médecine et de Droit) et des filières longues non sélectives conduisant à la recherche (Universités des Sciences et des Lettres). Dans un conteste où le baccalauréat, premier grade de l’Enseignement Supérieur, est devenu le diplôme de fin d’études secondaires obtenu par une grande masse de lycéens (l’objectif visé est quantitatif plus que qualitatif), les Universités des Sciences et des Lettres n’ont pas pu s’adapter à la gestion de grands flux. Elles comprennent, comme le souligne le rapport Goulard, les meilleurs enseignants et les moins bons étudiants.

  1. La LRU est une loi qui ne se caractérise pas par le courage politique :

    1. elle ne traite pas du contenu des études secondaires, de la définition des pré-requis indispensables à l’entrée dans l’enseignement supérieur, de la nécessaire définition de filières adaptées à la motivation, la compréhension, la capacité des lycéens. L’égalité (le droit aux études) n’est pas à confondre avec l’identité (tous les élèves ont le même niveau, le même potentiel, le même niveau social).

    2. elle laisse subsister la dualité filières courtes sélectives professionnalisées et filières longues non professionnalisées, ce qui oriente statistiquement les moins bons étudiants vers celles-ci, les seules à mener à la recherche.

  1. La LRU est une loi dangereuse pour le développement de la recherche fondamentale

    1. le pilotage par l’aval (les applications recherchées), les contrats à courte durée, l’évaluation par des experts nommés, la précarisation des jeunes chercheurs incitent à ne privilégier que la recherche finalisée. Or une telle recherche, comme toute recherche « à la mode », est une recherche du passé. Elle s’appuie sur des résultats théoriques obtenus précédemment. Ces résultats théoriques ont très souvent été obtenus de manière inattendue, ne portent pas application immédiate, supposent le temps, la fréquentation des « voies de traverses » incertaines. La recherche fondamentale nécessite un investissement qui peut être improductif. Qui pensait que le « calcul à l’envers » effectué par Planck (1900) pour rendre compte de l’émission du corps noir aménerait la Quantique, sur laquelle reposent beaucoup de développements technologiques actuels ? Les crépiteurs de Hertz (1885), destinés mettre à l’épreuve les équations théoriques de Maxwell, amenèrent radio et télévision un demi siècle plus tard. Edison et Adler en faisant vibrer une peau sous l’action d’un courant modulé ne pensaient pas inventer le téléphone. Le dénombrement des groupes de symétrie (1875), effectué « par jeu » ne trouva d’application qu’avec le développement de la cristallographie (1925). Frédéric et Irène Joliot-Curie, découvrant la radioactivité artificielle pensaient avoir mis en évidence une bizarrerie. Et que dire du manque d’application de la Relativité générale ? Nous pourrions multiplier les exemples. La recherche se doit de poser de nouvelle questions et non seulement apporter des réponses aux questions posées.

    2. Par contre la LRU vient s’adapter à une situation : celle de l’absence endémique de recherche dans les entreprises françaises. Elle met à disposition de celles-ci, à courte vue, le potentiel, humain et matériel, de recherche universitaire … dans le temps même où le capitalisme industriel fait place au capitalisme financier, qui détruit les entreprises pour augmenter les profits des dirigeants, des actionnaires et les fonds de pension. Ne faut-il pas réglementer ceux-ci et obliger à l’investissement du privé pour le privé que de mettre à la disposition de capitaines d’industrie incompétents le potentiel public ?

    3. La LRU prend aussi pour modèle les Etats-Unis d’Amérique, mais un modèle non compris de nos technocrates puisque la recherche des USA vit grâce au recrutement mondial de ses chercheurs et grâce à la « prise de risque » en recherche fondamentale effectuée par les pays tiers.

    4. La LRU précarise encore plus qu’actuellement les titulaires de thèse : alors que les chercheurs de ma génération étaient recrutés à 23 ans en moyenne, les actuels vers 30 ans, la LRU précarise les bac+7 en leur offrant des CDD. Faut-il rappeler que la majorité des découvertes fondamentales ont été faites par des savants de moins de 28 ans … et que, déjà, la recherche souffre de l’individualisme dû à la précarité des chercheurs ?

  1. La LRU est une loi anti-humaniste

Elle est démagogique car elle dit vouloir former des étudiants « utiles » à une époque où le manque de débouchés, les délocalisations, le chômage caractérisent notre pays, non par manque de techniciens ou d’ingénieurs, mais par manque d’initiative industrielle.

    1. L’enseignement primaire, secondaire et supérieur doivent former des hommes capables de penser, de raisonner, de se situer dans un contexte changeant, de savoir d’où ils viennent, afin de pouvoir choisir leur présent et d’inventer l’avenir. Ils doivent montrer que la science est une pensée vivante qui porte en elle-même sa propre capacité de contestation : le recours à l’expérience. Cette mission humaniste doit être celle de l’Etat Régalien. Vouloir s’adapter au privé c’est vouloir développer non l’éducation mais un dressage particulier. C’est pourquoi le LRU privatise, détruisant les ambitions culturelles qui doivent être celles de l’enseignement supérieur et de la recherche.

    2. Cette réforme « utilitariste » et voulant adapter recherche et formation aux débouchés immédiat porte en germe la disparition des sciences humaines.

  1. . Réformer l’Université et la Recherche actuelles


La critique qui précède montre que l’Université et la Recherche doivent évoluer profondément, non sur le seul plan des moyens, mais surtout des contenus et des structures.

    1. Le système universitaire devrait supprimer la dichotomie soulignée au premier paragraphe entre filières courtes sélectives et longues non sélectives, offrir des filières différentiées, contribuer à forger un humanisme de notre temps, faisant entrer la culture dans les sciences et les sciences dans la culture.

    2. La recherche française doit s’articuler entre les Universités et les grands organismes, permettre aux chercheurs d’être, selon leurs choix, leurs motivations, la période de leur vie, diffuseurs de sciences, enseignants, chercheurs, administrateurs, sans que cette dernière fonction devienne un métier sans retour où s’engouffrent ceux qui ne cherchent plus ( sinon des places) et n’enseignent plus.

    3. On ne fait pas de recherche sans avoir « plusieurs fers au feu ». La coexistence de recherche désintéressée, pour le plaisir, et celle « à la mode » dans des programmes thématiques doit être favorisée.

Malgré les sommes investies dans ces domaines, on ne voit guère d’avancée significative dans le domaine du cancer, de la myopathie… Il ne suffit pas de décréter que telle ou telle cause est nationale pour la résoudre. La solution vient souvent de directions qui surprennent et restent « hors programmes ».

    1. L’évaluation à mettre en place doit privilégier le long terme et le a posteriori et non l’ a priori. Or c’est la première que l’on ne sait pas faire.


Réfléchir à ces pistes – et à d’autres – nécessite un débat citoyen, mise ne place de « groupe de dissensus » où les participants posent d’abord tous les problèmes auxquels ils pensent et les solutions qu’ils envisagent. Ce n’est que par une mobilisation générale et la mise en synergie de toutes les idées que la réforme nécessaire peut émerger, non du chapeau de quelques technocrates étendant aux domaines de la recherche et de l’enseignement les recettes qui se révèlent mauvaises dans le domaine de l’économie.

Lille, le 8 décembre 2007

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Un peu de diversité dans les commentaires ne va pas faire de mal...
Je suis étudiant à Lille 2 et je suis favorable à la LRU.
La question centrale dans ce débat est:
L'université doit-elle et permet- elle d'accéder sur le marché du travail et de trouver un emploi?
Ceux qui sont contre ce principe sont forcément contre ce projet LRU. Voir l'université uniquement sous le prisme de la formation intellectuelle et citoyenne, c'est nécessaire. Mais l'université a comme rôle également, ce serait tout de même ahurissant de ne pas le reconnaître, de nous offrir des débouchés d'emploi, sinon à quoi ca sert d'aller à l'université pour se retrouver sans rien ensuite?

Et donc dans la suite logique de cela, il fallait une modernisation de l'université. L'autonomie et la possibilité de gérer des fonds privés est indispensable. Pourquoi?
On vit actuellement dans deux mondes cloisonnés, l'un l'université où beaucoup de professeurs suivent le parcours normal doctorat diplome concours,... Mais beaucoup n'ont jamais mis un pied dans l'entreprise alors que le rôle même de tout universitaire est de donner les connaissances pour mieux comprendre le monde qui nous entoure et des clés sur le marché du travail. Il n'est pas anormal dans ce sens de voir beaucoup d'universitaires se révolter contre ce projet dautonomie. De l'autre les entreprises qui ne connaissant pas le monde de l'université préfèrent recruter des étudiants de grande école et le fossé s'est ainsi creusé. Et c'est ainsi que les préjugés entre univsersités et entreprises ( le vilain capitaliste!)
Que permet donc cette réforme? Elle rapproche ces deux mondes car l'un ne peut vivre sans l'autre. Ils sont en interaction permanente et cette loi permet donc de les adapter. Cette loi en permettant des intervenants extérieurs de siéger aux conseils d'administration incorpore le monde de l'entreprise, du social et des collectivités locales dans l'université. Par une meilleure adéquation entre le diplome, les cours et les emplois proposées, on efface certaines rigidités du marché du travail, sources de chômage. En proposant par exemple en licence de géographie des cours de marketing, on peut mieux intégrer ces étudiants au monde de l'entreprise.
Certains croient à une privatisation. Il faut rectifier ces préjugés totalement faux.
-->Primo, dans le conseil d'administration, le monde de l'entreprises aura sa place mais les chefs d'entreprise ne seront pas les seuls intervenants. Sur une dizaine de personnes extérieurs, la loi prévoit au moins un chef d'entreprise, une personne issue du monde social associatif et aussi 3 personnes des collectivités locales. Sur un conseil d'adminstration, on a donc au "pire" 5 à 6 personnes de l'entreprise. Sur 30, le ratio reste faible
--> Secondo, les fonds privés ne représenteront pas la majorité des fonds de l'universités. L'Etat ne se désengage pas et continue de distribuer massivement des fonds publics. D'ailleurs, l'Etat va sur les 5 ans à venir donner entre 10 et 15 milliards d'euros supplémentaires au budget de l'université.
--> Le recteur continue de contrôler tous les actes de l'université.
En somme, il n'y a aucune privatisation.

D'autres critiquent les pouvoirs accrus du président de l'université. C'est un choix mais il faut nuancer
-->Il reste élu par le conseil dadministration et par conséquent il a tout intérêt à présenter un projet cohérent pour l'Université
--> Chaque année le président de l'université devra rendre un rapport d'activité
--> Le controle du recteur s'effectuera sur les actes du président.
--> Les étudiants voir les autres membres du conseil d'administration pourront signer les actes, sous autorisation bien sur, habituellement signés par le président de l'université.
En quoi ce pouvoir accru peut il être source d'effets négatifs? Il n'y a pas à s'inquiéter outre mesure.

La baisse de représentants étudiants et personnels non enseignants. Certes mais c'est le cas pour tout le monde. En revanche, j'ai une petite réserve concernant la baisse du personnel non enseignant.

Universités à 2 vitesse? Les opposant disent aussi que celles qui auraient des financements privés importants auront un avantage comparatif sur celles n'en ayant pas. Ce qui conduira surement à une concentration des universités dans les grandes villes, là où les financements privés sont les plus importants conséquence: universités de" province " en perte de vitesse et donc une forme de désaménagement du territoire. Effectivement c'est l'un des gros risques de cette réforme mais il faut largment le nuancer car les universités continueront d'avoir le financement public quelque soit sa situation géographique.

Universités aussi à 2 vitesses car les universités sans rapport direct avec l'entreprise (lettres sciences humaines) n'attireront pas les capitaux privés? C'est un faux problème. Tout d'abord,elles peuvent être directement nécessaires au monde de l'entreprise: Par exemple,dan le cadre d'une politique de marché, les entreprises ont bsoin de psychologues ethnologues etc...pour étudier les consommateurs par exemple...De plus des conventions sont actuellement signés (surtout sur Paris) entre entreprises et universités pour tenter d'incorporer ceux ci dans le monde de l'entreprise. Et comme je l'ai déjà dit l'Etat ne se désengage pas de l'enseignement supérieur et les étudiants ne seront en aucun cas empêché de faire des études de sciences humaines!
Réforme allant vers la hausse des frais d'inscription et vers la sélection? Frais d'inscription: Environ 150 euros pour une licence dans l'année et 250 euros pour un master, fixés par Concernant la sélection, cette réforme ne donne qu avis purement consultatif de l'université et aucune trace de concours ou quoique ce soit. La réforme permet d'améliorer l'orientation d'ailleurs car les universités sont incités à aller dans les lycées.

Mais personnellement, je pense que la future réforme de l'université devra se faire sur la question de l'orientation ( pourquoi pas un conseiller par lycée?) et surtout vers la sélection dans les filières bouchés sans avenir. C'est une question de nécessité, d'éviter les gaspillages de deniers publics (exemple: fac de gestion de 300 personnes en 1ere année-> 80 en 2seconde année, quelle gachis!) et surtout pour les étudiants eux même cela leur permet de ne pas perdre une année. Enfin, afin de professionaliser et de connaitre tous les corps de métier afin de mieux s'orienter, je pense qu'il faudra mettre en place des stages en entreprise ou fonction publique au lycée.
Voila ce qu'il nous reste à faire pour avoir un système éducatif (et surtout au niveau du lycée et de l'enseignement supérieur)moderne, efficace et source d'emplois.
Car après tout que souhaitons nous tous? L'emploi. Certes, je suis ici sur un site de philosophes qui ne doivvnet certainement pas voir le bonheur certainement sous le prisme de l'emploi et du travail,mais c'en est une condition et c'est à cela que servent les politiques. Cette réforme va dans ce sens!
Merci
Antoine

Anonyme a dit…

Il n'y a pas de consensus philosophique sur la lru, encore moins sur la définition du bonheur, merci de ne pas verser dans la caricature ;)
Merci de votre participation.